La tenue du procès pénal en matière de fraude fiscale offre à l’administration fiscale l’opportunité de renforcer ses garanties en vue du recouvrement de sa créance. L’article 1745 du CGI permet en effet au juge pénal de prononcer à l’encontre du condamné une solidarité fiscale avec le redevable de l’impôt (cf. notre Que faire sur ce sujet).
Un arrêt récemment rendu par le Conseil d’État souligne que la solidarité a également pour effet d’impacter le délai de prescription de l’action en recouvrement de l’administration fiscale.
Il ressort de l’arrêt du Conseil d’État du 21 mai dernier que la décision du juge pénal prononçant la solidarité :
- d’une part, interrompt la prescription de l’action en recouvrement de l’impôt, tant à l’égard du débiteur principal qu’à l’égard de la personne solidairement tenue,
- et, d’autre part, constitue, lorsqu’elle porte mention d’une créance liquide, un titre exécutoire ouvrant au comptable public un délai de 10 ans – qui se substitue au délai quadriennal prévu pour l’exécution du titre fiscal délivré par le fisc –.
- Néanmoins, la doctrine fiscale prévoyant que « le délai de l’action en recouvrement (quatre ans) est applicable à la créance qui résulte d’une décision de justice constatant une solidarité au paiement de la créance fiscale et rendue par la juridiction pénale » est opposable, permettant de faire échec en l’espèce à ce délai de 10 ans.
En l’espèce une société a fait l’objet de rappels de TVA assortis de majorations et de pénalités, mis en recouvrement en octobre 2007. La société a été placée en liquidation judiciaire en novembre 2007 et la procédure a été clôturée pour insuffisance d’actif en 2015.
Par un jugement pénal de 2009, confirmé par arrêt de 2011, son gérant a été déclaré solidairement tenu au paiement des dettes fiscales sur le fondement de l’article 1745 du CGI. Ce n’est qu’en 2017 qu’il a reçu une mise en demeure de payer. Le gérant estimait donc qu’il ne pouvait plus être poursuivi pour un impôt mis en recouvrement en 2007.
En principe, en application de l’alinéa 1er de l’article L. 274 du LPF, l’action en recouvrement des créances de toute nature dont la perception incombe aux comptables publics se prescrit par quatre ans à compter du jour de la mise en recouvrement du rôle ou de l’envoi du titre exécutoire. Mais ce principe est énoncé « sous réserve de causes suspensives ou interruptives de prescription ».
Dans sa décision du 21 mai 2025, le Conseil d’État énonce que la décision du juge pénal déclarant, sur le fondement de l’article 1745 du CGI, une personne tenue au paiement solidaire de l’impôt fraudé interrompt la prescription de l’action en recouvrement à l’égard de celle-ci et du débiteur principal de l’impôt, ce jusqu’à l’extinction de l’instance.
Et d’ajouter que, lorsque la décision du juge répressif « porte mention d’une créance liquide, c’est-à-dire évaluée en argent ou comportant tous les éléments permettant son évaluation », elle constitue « un titre exécutoire à l’encontre de la personne déclarée solidairement tenue au paiement de l’impôt ».
En conséquence, en application des articles L.111-3 et L.111-4 du Code des procédures civiles d’exécution, « lorsque le comptable public poursuit le recouvrement de cette imposition en exécution d’une telle décision juridictionnelle, un nouveau délai de dix ans lui est ouvert, qui se substitue au délai quadriennal prévu pour l’exécution du titre fiscal délivré par l’administration ».
C’est donc sans erreur de droit que la cour administrative d’appel a pu écarter le moyen tiré de ce que l’action en recouvrement de la créance fiscale litigieuse était atteinte par la prescription à la date de la mise en demeure de payer datant de septembre 2017.
Toutefois, la solution dégagée par le Conseil d’État ne profitera pas à l’administration fiscale dans l’affaire jugée car elle entre en contradiction avec la doctrine administrative en vigueur selon laquelle, « en application du principe civil régissant la solidarité, le délai de l’action en recouvrement (quatre ans) est applicable à la créance qui résulte d’une décision de justice constatant une solidarité au paiement de la créance fiscale et rendue par la juridiction pénale » (BOI-REC-EVTS-30-10 n° 100).
Selon le Conseil d’État, cette doctrine, qui énonce une interprétation formelle du texte, est opposable à l’administration au bénéfice du contribuable, en vertu de l’article L. 80 A du LPF. Tant que celle-ci n’a pas été modifiée, le contribuable peut donc encore utilement se prévaloir de la position de l’administration fiscale.
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