L’administration est en droit d’écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d’un abus de droit. Un tel abus est sanctionné d’une majoration égale à 80% des droits lorsqu’il est établi que le contribuable a eu l’initiative principale des actes abusifs ou en a été le principal bénéficiaire, et à 40% à défaut.
L’administration fiscale doit donc justifier l’application des pénalités de 80%, à défaut de quoi le juge peut appliquer d’office un taux de 40%.
Au-delà de cet ajustement, quel pouvoir détient le juge de l’impôt concernant la fixation du montant des pénalités fiscales ?
Par un arrêt en date du 12 février 2025, la chambre commerciale de la Cour de cassation précise qu’il appartient au juge judiciaire de s’assurer de la proportionnalité de la pénalité au regard du comportement du contribuable. Une solution qui confère au juge judiciaire de l’impôt un pouvoir de modération puisqu’il peut moduler, voire annuler, le montant des pénalités prononcées.
En l’espèce, une SCI exerçant une activité de marchand de biens avait fait l’acquisition d’un immeuble en sollicitant une exonération des droits d’enregistrement en vertu de l’article 1115 du CGI (engagement de revente).
L’administration fiscale a cependant remis en cause le bénéfice de ce régime d‘exonération pour non-respect de l’engagement de revente dans le délai de 4 ans à compter de l’acquisition, sur le fondement de l’abus de droit. Saisi, le comité d’abus de droit fiscal a confirmé l’application de cette procédure et le rappel de l’imposition a été mis en recouvrement, assorti de la pénalité de 80%.
Après rejet de sa réclamation contentieuse, la SCI a saisi vainement le tribunal judiciaire puis la cour d’appel. Devant la Cour de cassation, elle soutenait que la cour d’appel avait violé l’article 6§1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont le champ d’application porte sur les « accusations en matière pénale ».
Lorsqu’elles visent à punir ou à prévenir la réitération des infractions, les pénalités fiscales peuvent être considérées comme des accusations en matière pénale en raison de leur nature punitive et dissuasive. Une telle qualification permet d’invoquer les droits procéduraux garantis par l’article 6 de la Convention, desquels découle l’exigence de proportionnalité.
En l’espèce, la SCI invoquait une violation de cet article, reprochant à la cour d’appel de s’être contentée d’affirmer, sans en justifier, que la sanction fiscale était proportionnée aux agissements commis.
Au visa de la Convention, la chambre commerciale de la Cour de cassation censure la décision des juges du fond et affirme qu’il « résulte de ce texte qu’un recours de pleine juridiction doit être ouvert au contribuable pour permettre au juge de se prononcer sur le principe et le montant de la pénalité fiscale. Le juge, saisi d’une demande en ce sens, doit vérifier que la pénalité fiscale est proportionnée au comportement du contribuable dans les circonstances de l’espèce ».
Le juge judiciaire de l’impôt ne peut se contenter d’une application mécanique des pénalités fiscales : il doit vérifier concrètement leur proportionnalité au regard des particularités propres à chaque espèce. Le CGI fournit seulement des plafonds encourus qui laissent au juge judiciaire la possibilité d’en moduler le montant en fonction des circonstances de chaque espèce.
La Cour de cassation se prononce pour la première fois sur la pénalité prévue en cas d’abus de droit, dans la lignée de la position qu’elle avait déjà adoptée pour d’autres pénalités fiscales. Sa position tranche cependant avec celle traditionnellement retenue par le juge administratif, réticent à reconnaître au juge –en dehors du devoir de modulation en présence d’une condamnation définitive pour fraude fiscale– un véritable pouvoir de modulation des pénalités fiscales.
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